Fayçal Baghriche

Quelque chose plutôt que rien

Quelque chose plutôt que rien
Keren Detton, directrice du Quartier

Né en 1972 à Skikda en Algérie, Fayçal Baghriche a étudié à la Villa Arson de Nice avant de s’installer à Paris. Privilégiant la performance, la photographie et la sculpture, il s’est d’abord interrogé sur la place de l’artiste dans l’espace social avant d’intervenir sur des symboles collectifs.

Empreinte d’une vision singulière, sa démarche artistique révèle la poésie et l’étrangeté des pratiques quotidiennes. Avec beaucoup d’humour, l’artiste examine la construction des symboles collectifs et des systèmes normatifs qui régulent l’espace public. Il travaille à partir de gestes simples et d’objets facilement reconnaissables. Procédant par collecte de récits ou de traces, assemblage d’objets ou de films, l’artiste propose des images qui déjouent les réflexes d’identification.

Le titre de l’exposition se réfère à la question philosophique que pose Leibnitz sur la création de l’univers : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Fayçal Baghriche réunit une constellation d’oeuvres autonomes qui portent en elles la possibilité d’une réalité nouvelle. Il part d’un contexte spécifique, pour l’inscrire dans un langage poétique universel. C’est ainsi qu’il réalise des images mettant en relation l’histoire d’un lieu avec des formes picturales abstraites et des objets détournés de leur fonction, porteurs de symboliques nouvelles.

Dans Les grottes merveilleuses en Algérie, l’artiste enregistre un guide qui, au cours de sa visite, propose des analogies entre les formes des stalagmites et les monuments du monde, comme la statue de la Liberté ou la Tour de Pise. En mettant l’imagination des spectateurs à contribution, l’homme se pose en médiateur entre les formes de cette caverne et le monde extérieur. Comme si préalablement à son existence, la réalité que nous connaissons avait été esquissée dans la roche. Mettant en scène une histoire réinventée depuis la grotte, cette vidéo montre comment le savoir informe le regard.

Chez Baghriche, les oeuvres confrontent la mémoire et l’imaginaire et produisent des images ambigües. Tentative pour repeindre le mur de Berlin avortée par un citoyen allemand est une performance photographiée où l’artiste tente de repeindre en blanc les graffitis qui ornent le mur de Berlin. L’échec est éminemment subversif : l’interruption par un citoyen conduit l’artiste à effacer ses traces de « blanc », ce qui réactive une lecture politique des graffitis jusqu’alors figés en tant que témoins historiques.

Les interventions artistiques de Baghriche jouent avec différentes formes de distanciation : la vidéo Point, ligne, particules, adaptation du manifeste esthétique de Kandinsky Point, ligne, plan, renvoie dos à dos les canons formalistes de l’abstraction lyrique et ceux du tag. Tournée en temps réel, cette vidéo montre l’artiste muni d’une bombe rouge attendant de réaliser une peinture dont l’aspect dépendra du mouvement et de la vitesse d’un train. Baghriche renonce à trans- mettre un message politique, social ou artistique au profit d’une mise en évidence des conditions de possibilité et de visibilité de son geste.

Le contexte du centre d’art est lui aussi indexé comme condition du regard. Dans la première salle d’exposition, les cimaises, fabriquées à partir de toiles tendues sur châssis et repeintes à chaque nouvelle exposition, ont accumulé au fil des ans une couche épaisse de peinture. Si le rapprochement entre la toile tendue des murs du Quartier et l’architecture a déjà retenu l’attention de plusieurs artistes, Fayçal Baghriche a simplement demandé aux techniciens de conserver les toiles enlevées lors de la précédente exposition puis de les replacer au même endroit. Des fissures, liées à la manutention, marbrent la surface murale et témoignent d’une histoire par recouvrements successifs. Fayçal Baghriche déconstruit ainsi l’idée d’un espace neutre et autonome.

Il ouvre également des brèches en montrant certains artifices qui contribuent à figer l’imaginaire collectif. Le Message, un péplum culte dans le monde arabe, fut tourné simultanément en deux versions : l’une avec des acteurs arabes et l’autre avec des stars américaines pour une audience occidentale. À partir de ces deux versions originales, il propose de remonter les films ensemble afin de faire dialoguer les acteurs dans leurs langues respectives. Alors que l’industrie cinématographique s’appuie sur des représentations figées qui stigmatisent des publics en les séparant, l’artiste construit un espace d’échange et de rencontre. Cette version redirige l’attention du récit vers le support. Il en va de même avec certaines installations où le message se replie sur lui-même. C’est ainsi que Fayçal Baghriche expose 28 drapeaux de différents pays enroulés sur eux-mêmes : seule est visible la partie rouge qui les compose, ce qui empêche de les distinguer entre eux. Ces drapeaux marquent une occupation des lieux mais ne revendiquent plus aucun territoire.