Fayçal Baghriche

Comment vaincre le hasard?

Comment vaincre le hasard ?
Julien Bouillon

Dans la presse spécialisée, on voit souvent des publicités dont le coût motive d’intransigeantes critiques quatre pages plus loin. Chez daté c’est pas notre truc ! Une revue et un agenda séparés avec accès direct pour les espaces d’art : c’est pas parce qu’il payent 200 CHF qu’on va leur écrire un article ! Et si daté.es m’offre un petit espace d’expression, je ne vais tout de même pas en abuser (ça va pas la tête!). Je ne peux décemment pas faire la promotion d’une exposition dans laquelle je figure (1). Je vais donc me livrer à un exercice plus noble : la promotion d’un ami.

Je voudrai aussi apporter ma modeste contribution à l’anéantissement du mensonge ridicule et effrayant qui consiste à fabriquer un nouveau bouc-émissaire de l’Islam. Après la votation lamentable que vous savez et l’absurde question de l’identité nationale, il est bon de rappeler ce que doit la culture occidentale au monde arabo-musulman et comment les forfaitures post-coloniales ont favorisé le maintien d’états ratés et autoritaires. L’échec manifeste de ces états et la criminalisation de leurs ressortissants n’a fait que renforcer les mouvances les plus archaïques, les plus désespérées et la peur qui en découle. Cette peur, bien que grossièrement manipulée, nie l’existence d’une majorité d’européens qui ne devraient pas faire les frais des slogans idéologiques qui nourrissent l’industrie de la sécurité et qui occultent les questions essentielles. 
Mais soyons plus léger et faisons ce que j’ai dit.

Ma visite de l’exposition de Fayçal Baghriche, « Quelque chose plutôt que rien », est pour moi l’occasion d’évoquer l’excellent centre d’art de Quimper, le Quartier, nouvellement dirigé par Keren Detton. 
Audacieuse, celle-ci avait souhaité que je présente une lecture inhabituelle du travail de Fayçal Baghriche, artiste. 
En voici le résumé.

Fayçal Baghriche est musulman. J’ai tenté de démontrer comment il à joué et déjoué les déterminismes que suppose le fatum musulman, le mektoub, la fatalité. Pour ce faire j’ai proposé de relire une partie de son travail à la lumière des préceptes fondamentaux de l’islam. 
Je n’ai pas manqué d’évoquer les cinq piliers de l’islam ;

« Salat » d’abord (les 5 prières en direction de la Kaaba) pour identifier toute une série de travaux liés à la perspective et au point de vue. Partant de l’idée que Dieu est partout, qu’il est à la fois point de vue et point de fuite, j’ai supposé que Fayçal marquait sa condition d’homme à n’avoir, en tant que croyant, qu’un point de mire, Dieu (donc n’importe lequel ! éhéh !). Après avoir rapidement évoqué son tapis (de prière ?) (2) comme une représentation de la « Oumma » (la communauté des croyants), j’ai parlé de « Chahada » (la reconnaissance de l’unicité de Dieu et de la prophétie de Mahomet). Ici j’ai insisté sur la « scriptio defectiva » du Coran, cette écriture squelettique qui ouvre, comme la Torah, à toutes les interprétations et sur-interprétations, aux lectures tardives, aux exégèses problématiques. Plusieurs pièces font écho à ce pilier chez Fayçal Baghriche comme par exemple « La ifham » (3). « Zakat » (l’aumone aux pauvres selon ses moyens), le troisième pilier, renvoyait naturellement à « Phillipe » (4) ou au « marché de l’emploi » (5). J’ai profité de cet aspect socialisant pour faire un survol supersonique des rapports complexes entre Marxisme et Islam qui oscillent entre rejets et adéquations post-coloniales puis j’ai évoqué la justesse du regard de Fayçal Baghriche sur le statut d’artiste en France. Je n’ai quasiment pas parlé de « Saoum » (le Ramadan) sinon pour dire que, finalement, c’était la seule règle que Fayçal Baghriche observait scrupuleusement (il ne prie pas) et j’ai terminé par « Hadjj » (le pélerinage à la Mecque) qui peut donner à voir d’une façon toute nouvelle des pièces telles que « Révolutions », « Le sens du devoir » ou « Souvenir » (6).

Si le thème de la liberté comme opposition à la nécessité permettait d’entrelacer les éléments biographiques aux propositions artistiques elle n’invalidait certainement pas tout ce qui a été dit sur Fayçal Baghriche par ailleurs. ; ) J’imagine que ce raccourci idéalisé ne vous permettra pas de vous faire une idée de l’ambiance survoltée qui régnait alors au Quartier, ni du travail de Fayçal Baghriche que j’ai partialement coloré pour donner plus de piquant à ma conférence. Néanmoins j’espère que ce petit article attirera la bienveillance, sinon de Keren Detton, au moins de commissaires avisés qui pourraient profiter de cet espace de visibilité qu’offre Daté.es !

(1) Passé un certain nombre d’artistes dans une exposition collective on peut parler de figuration même pour un peintre abstrait ! – http://www.institut-francais.fr/Ins-Blickfeld-geruckt.html
(2) Qu’est-ce que vous faites Monsieur ?, filtres de cigarettes, Néoprène, Ø : 150 cm, 2005
(3) La ifham, Néon, 50 x 20 cm, 2006
(4) Philippe, mannequin plastique, tissu Lycra doré, masque, 210 cm x 50 x 25 cm, 2008
(5) Le marché de l’emploi, vidéo, 2 mn, 2003
(6) Souvenir, Globe terrestre éclairé, moteur, Ø: 120cm, h: 180 cm, 2009 www.entrepriseculturelle.org/fayce www.le-quartier.net/spip.php?article260