Fayçal Baghriche

La force de l’art

La force de l’art
Didier Ottinger
L’art de Fayçal Baghriche ressemble à ces frêles battements d’ailes de papillon, capables de déclencher des cataclysmes climatiques majeurs. Avec une apparence de désinvolture, armé des moyens les plus précaires, il s’attaque aux plus graves questions politiques et morales. Ses vidéos, dont l’ascèse visuelle et technique rappelle l’art des pionniers du cinéma burlesque, mettent en scène l’artiste en sauvageon de banlieue ou en chômeur déclamant sa tirade dans une rame de métro. Ses enveloppements (2008) condamnent les drapeaux enroulés sur eux-mêmes au mutisme patriotique, en n’exhibant que la dernière de leur couleur. Avec sa série des Épurations électives, Baghriche procède à rebours des politiques visant à sélectionner les individus sur des bases nationales ou ethniques. Son geste, qui consiste à colorer d’un bleu uniforme les pages des dictionnaires consacrés aux drapeaux du monde, produit un champ d’étoiles, qui renvoie nationalité et frontières à leur place réelle, à l’échelle du cosmos infini. Animant un globe terrestre d’une rotation rapide, il lui fait retrouver cette couleur uniforme que lui avait donnée l’idéalisme militant d’Yves Klein, la rend conforme à la vision de Paul Éluard qui la voyait « bleu comme une orange », fragile et délectable comme un fruit de Noël.