Fayçal Baghriche

Out of business

Out of business
Entretien entre Matthieu Clainchard et Fayçal Baghriche in Revue Laura n°9 – Octobre 2009

Matthieu Clainchard: Tu sais combien le graffiti m’intéresse. Depuis quelque temps, la chose picturale apparaît dans ton travail par ce biais. Je fais allusion à ta Tentative de repeindre le mur de Berlin, à Point, ligne, particules, ainsi qu’à cette série de photos que tu prépares pour ta prochaine exposition au Quartier de Quimper. Comment cette pratique du graffiti, en tant que genre mineur de la peinture, trouve- t-elle sa place dans ton travail ?

Fayçal Baghriche: Je n’ai pas, à proprement parler de pratique du graffiti. Ma Tentative de repeindre le mur de Berlin n’est pas un graffiti, c’est un recouvrement. Mon but était justement de faire disparaître les graffitis que l’autorité avait sacralisés. Au moment de la chute du mur, on a décidé d’en conserver des pans entiers pour faire de l’ensemble un monument historique. Il devenait impossible de peindre sur le mur, en somme, on décidait de figer l’Histoire. Cette année, pour le vingtième anniversaire de la chute du mur, la ville de Berlin a demandé à plusieurs artistes de restaurer des peintures murales qu’ils avaient réalisées dans le passé. Certaines parties du mur vont également être reconstruites et on va demander aux artistes de reproduire à l’identique les œuvres qui étaient peintes dessus. En repeignant le mur en blanc, je voulais permettre à l’Histoire de reprendre son cours. Mon unique graffiti, c’est celui de la vidéo Point, ligne, particules. Un geste qui consiste à faire un point à la bombe sur un RER avant son départ. En démarrant le RER dessine sa propre ligne. Je n’ai pas de pratique, je n’ai pas de savoir-faire. Je considère le tag avant tout comme un signe qui atteste de l’existence de celui qui le fait. Ainsi, pour moi le mot « tag » est synonyme de « balise ». Tout en se référant aux formes élémentaires définies par Kandinsky, cette œuvre en inverse les rapports. Ainsi, la force que dessine le trait n’est pas appliquée par l’artiste, mais par le support en mouvement.

M.C : Tu parles souvent de tes performances comme s’il s’agissait de fictions. Mais ces situations mises en scène, ou plutôt « réalisées », sont absolument vraies et vécues. Est-ce à la vie, au réel que tu opposes ta posture de héros keatonien ?

F.B : Mes performances présentent souvent des allures burlesques. J’incarne un « personnage », parfois un personnage type : le demandeur d’emploi, le tagueur, l’étranger… des figures que je propose qui sont toujours en porte-à-faux avec le réel. Ils l’habitent et en font un réel de fiction. Les situations que je propose sont des aberrations dont on ne peut s’empêcher de rire.

M.C : Tu réalises chronologiquement : Le marché de l’emploi, Ma déclaration de septembre, Philippe. Est-ce qu’il faut y voir un business plan ?

F.B : Il n’y a aucun business plan. Il s’agit d’un système D. Une manière pas forcément des plus optimales de résoudre un problème donné mais qui permet de subsister. Un bon nombre de pièces s’appuient sur la notion de travail, j’entends le travail rémunérateur, le petit job, qui d’un côté te permet de vivre, et de l’autre t’accapare. Ma situation, comme celle de nombreux jeunes artistes nécessite que je développe des stratégies pour épargner du temps. Si on se réfère à la chronologie des pièces dont tu parles, tu peux voir que, d’abord, il y a une série de négociations avec le travail, pour en arriver à Philippe qui, en fait, est une petite affaire libérale. Dans Le marché de l’emploi, je suis dans une situation assez pathétique : une recherche d’emploi infructueuse qui échoue dans les rames du métro. Je déclame mon C.V. à des voyageurs impassibles. Ma déclaration de septembre, c’est quatre ans après, en 2006. Toujours au chômage, je filme ma main pendant ma télé-déclaration Assedic. En gros, c’est l’histoire d’un gars qui est en échec professionnel. Philippe, 2008, c’est la prise en main : le moyen de gagner de l’argent par la débrouille, la petite arnaque.

M.C : C’est quoi Philippe ?

F.B : Philippe s’appelle ainsi en hommage à un ami à qui ce projet a failli coûter la vie. C’est une sculpture qui imite un homme déguisé en sculpture. Il s’agit d’un mannequin en plastique que j’ai habillé d’un tissu en lycra doré et auquel je fais porter le masque de Toutânkhamon et que je dépose sur les places touristiques. Les badauds s’approchent de la sculpture, se font photographier avec, et lui laissent une petite pièce, pensant faire une bonne action.

M.C : Philippe est assez différent de tes performances antérieures qui fonctionnent plutôt sur le mode du ratage…

F.B : Philippe a été dépassé par son succès. Ce devait être une sculpture qui, silencieusement, tranquillement dans la durée, traiterait de performance. Et soudain, elle a révélé des facettes que je ne soupçonnais pas. Entre autres, j’ai réalisé que les petits business de rue rapportaient plus que je l’imaginais.

M.C : Parmi ces figures de débrouille, j’aimerais bien que tu me parles de ce truc de briquets.

F.B : Là aussi on est dans une méthode de subsistance. Des gars qui vendent des briquets avec la Tour Eiffel dessus pour les touristes. J’ai racheté un lot entier à un vendeur. J’ai placé dans une boîte noire la panoplie du vendeur de briquets : la mallette de briquets, mon blouson en cuir, mon jean et mes bottes. Des fringues auxquelles je tenais beaucoup. Peut-être parce que je suis fan de ce type de petits boulots, je tenais à en produire une forme fétichisée. Ce type de business m’intéresse vachement. Comme les vendeurs de «maïs chaud», et de «pop corn» à la sortie du métro, également le «marché des miséreux» à Saint-Ouen où tu trouves tout et n’importe quoi. J’y vais souvent, j’observe et me mêle aux transactions. En ce moment, je prends en photo les étals des biffins. Des masses d’objets, sans rapport les uns avec les autres, s’y côtoient sur un drap posé au sol.

M.C : Dans un texte de présentation d’une de tes expositions, Yoann Gourmel décrit ton travail comme une pratique « en pointillés qui avoue ses errements, ses lacunes et ses erreurs de jugement ». Ce mode de fonctionnement ressemble à une stratégie, une sorte de box de l’homme saoul.

F.B : Oui, c’est vrai mon travail comporte des lacunes : je n’ai pas de savoir-faire, ma pratique est faite de bric et de broc et les idées que je mets en œuvre sont relativement simples. Mais à la fois cet aveu me permet d’avoir une pratique en toute humilité. Et c’est une stratégie dans le sens où elle permet de ne pas être réduit au silence. En même temps, je ne discours pas, les œuvres ont une rhétorique qui leur est propre et facilement accessible. Mes pièces se basent souvent sur des gestes fondamentaux : soustraire, inverser, accélérer… un globe qui tourne si vite qu’on ne peut plus distinguer les contours des continents, des drapeaux enroulés sur eux-mêmes ne laissant plus paraître que la partie rouge qui les compose, une vidéo dans laquelle le cours du temps est inversé …

M.C : Est-ce qu’on peut parler de démonstrations ?

F.B : À chaque fois, il y a un geste. Il n’y a pas de démonstration, juste un geste qui pose une hypothèse. Un peu comme en science-fiction, l’œuvre naît de la formulation d’une hypothèse : « Et si … ? »